Si vous avez besoin d'une raison

La prohibition, c'est pour votre bien

Le 5 décembre 1933, à 17 heures 32, heure locale (1 heure 32 le lendemain à Paris), l’Utah décidait de ratifier le 21e amendement à la constitution des Etats-Unis. C’était le 36e Etat à prendre cette décision et cela voulait donc dire que l’amendement prenait force de loi. Il abrogeait le 18e amendement, également connu comme le Volstead Act. La prohibition venait de prendre fin.

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A vrai dire, huit mois plutôt déjà, le gouvernement des Etats-Unis avait autorisé la production et la vente de bières et de vins de moins de 4% d’alcool. Ce n’était qu’un début et donc, avant la fin de l’année, l’administration Roosevelt avait enterré cette expérience insane et inique que d’aucun qualifièrent pourtant de « noble ». Les crétins.

Roosevelt, 32e président des Etats-Unis, était entré en fonction en mars 1933 et aimait bien boire. On dit même qu’il a préparé le premier Martini légal (absurde, puisque ce qui était interdit, c’était la vente, la fabrication et le transport d’alcool, pas le fait de boire). Il ne faudrait tout de même pas le considérer comme un héros : l’un des plus importants facteurs de la fin de la prohibition était financier. Quatre ans après le krach de 1929, le pays était sur les genoux et le gouvernement avait besoin des taxes sur la vente de l’alcool tandis l’économie et l’emploi allaient bénéficier de la relance de toute une industrie (même si bien plus d’emplois avaient été détruits d’un trait de plume en 1919 par le 18e amendement qu’il n’en serait créés dans les mois qui allaient suivre son abrogation).

 
Même pas peur
Même pas peur
 

Si l’abrogation du 18e amendement n’était pas liée à une volonté de rendre au citoyen une liberté de choix quant à la consommation ou non d’alcool, la prohibition n’était guère plus motivée par un souci sanitaire. En effet, même si les partisans de l’abstinence forcée prétendaient qu’il s’agissait de lutter contre les ravages de l’alcool, les forces qui ont permis d’atteindre ce nadir de l’ingénierie sociale étaient bien différentes. Le mouvement en faveur de la tempérance et le Volstead Act lui-même sont les enfants du racisme (les immigrants irlandais et allemands avaient apporté un culture de la boisson), du fanatisme religieux (à noter que l’Eglise catholique et les luthériens s’opposaient à la prohibition), de la haine de classe (il fallait réformer les travailleurs inaptes à décider par eux-mêmes), de l’anti-modernité (la campagne contre la ville décadente) et du paternalisme étatique. De telles motivations et une telle politique ne pouvait donner que la tragicomédie qui allait suivre : des gens qui boivent de plus en plus mal dans des gargotes infâmes dirigées par un crime organisé toujours plus puissant d’un côté et, de l’autre, le développement sans précédent de l’appareil répressif d’un Etat qui n’hésitât par ailleurs pas à empoisonner l’alcool industriel utilisé par les bootleggers – tuant au passage, dit-on, 10 000 personnes. La vision romantique de la prohibition ? Ne me faites pas rire.

KKK-prohibition
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De nos jours, les mêmes recettes donnent les mêmes résultats pour d’autres substances. Mais le cannabis et les autres drogues ne sont pas seules concernées. Le mélange d’association bien pensante et d’hygiénistes forcenés continue à faire pression de manière systématique sur les Etats pour réguler (encore plus) le commerce de l’alcool. Le message est toujours le même : NOUS ne sommes pas capables de décider ce que nous voulons faire subir à nos corps. Il y a quelques temps, certains nous disaient : « La vie est dure, mais l’au-delà… » ; aujourd’hui, on nous dit : « Il n’y a pas de paradis, vous n’avez qu’une seule vie et, pour qu’elle soit longue, vous devez vous faire chier ». Naturellement, en temps de crise, les gouvernements sont disposés à écouter ces tristes sires. On augmente ou on compte augmenter les taxes sur l’alcool au Royaume-Uni, en France ou aux Etats-Unis. On met toujours plus de bâtons dans les rues de ceux qui essayent de vivre d’un métier pourtant honorable. Mais ne vous inquiétez pas : c’est pour votre bien.

Aujourd’hui, 79 ans jour pour jour après la fin de cette très mauvaise et beaucoup trop longue blague, il convient donc de boire. C’est peut-être même la seule fois de l’année où c’est une obligation. Avec modération et sagesse ou pas, ça ne me regarde pas. VOUS êtes responsable de VOS actes. Personne d’autre.

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Marchand de fumée ou plumitif national: le Robert Burns

Les mythes nationaux et l’histoire des cocktails ont au moins un point commun : ils dépendent de récits apocryphes, de divination dans les entrailles thucydidiennes, de reconstructions hasardeuses ; ils sont soumis aux intérêts fluctuants, aux aléas des opinions changeantes. Finalement, l’histoire de pucelle d’Orléans n’est pas moins entachée d’interprétations et de lectures douteuses que celle du Martini, pour ne pas parler du mot cocktail lui-même. Et puis il y a bien sûr les cocktails dont les noms nous renvoient à un héros national quelconque. Les hasards de la vie (ils font toujours bien ça) veulent que le 25 janvier (oui, c’est aujourd’hui) est le jour-anniversaire du grand poète écossais Robert Burns. Il aurait eu 253 ans. On ne va pas jouer aux historiens mais nous pouvons être certain que, vu son importance en Ecosse, les interprétations quant au sens politique de son œuvre sont, disons, variées. Passons au cocktail qui porte (porterait) son nom. Il nous donne suffisamment de boulot comme ça.

 
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Premièrement, personne ne semble être d’accord sur son nom : Robert Burns, Bobby Burns ou Bobbie Burns. Dans le camp Bobby, on retrouve Harry Craddock (Savoy Cocktail Book, 1930), les Travelling Mixologists (1934) et Frank Meier (Artistry of Mixing Drinks, 1936). Robert nous vient du Old Waldorf Astoria Bar Book de Albert S. Crockett (1935) tandis que Bobbie est défendu par David Embury (Fine Art of Mixing Drinks, 1948).

Ensuite, si tout le monde est d’accord pour parler d’une base scotch et vermouth, les autres ingrédients varient : l’école Bénédictine, l’école Drambuie, l’école absinthe, l’école bitters et, sans doute, l’école un-peu-de-tout.  Le camp Bobby appartient à l’école Bénédictine, avec une touche d’école bitters chez les Travelling Mixologists.  Au Old Waldorf Astoria, on est plutôt partisan de l’absinthe ET des bitters. Embury, quant à lui, en plus de nous donner le nom le plus étrange, opte pour le Drambuie.  Il y a aussi la question des proportions, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.

Que faire, donc ? Il semble que la recette canonisée soit celle du Savoy. C’est elle que vous verrez à peu près partout aujourd’hui sur l’interweb alcoolisé. Normal, me direz-vous : avec les bonnes doses, c’est un cocktail superbe et en plus la recette de Craddock en est, à ma connaissance, la plus vieille trace publiée (1930). Est-ce pour autant la recette « authentique » ? Prenons par exemple le livre d’Albert Crockett, publié en 1935. Le vieux Waldorf Astoriaavait fermé ses portes en 1929, alors que l’on était encore en pleine prohibition. Crockett en écrit l’histoire et tire la majorité de ses recettes du bar book officiel utilisé par les employés de son très célèbre bar. Autrement dit, il s’agit, dans la plupart des cas, de recettes d’avant la prohibition, de recettes d’avant 1919. Par ailleurs, on semble y insinuer que le Robert Burns aurait été inventé au bar de l’hôtel puisqu’il nous dit que si son nom vient du poète écossais, il pourrait tout aussi bien l’avoir hérité d’un certain Robert Burns, vendeur de cigares et très bon client… On peut bien entendu penser que cette petite notice biographique du Robert Burns est une sorte de private joke. Mais si on la prend au sérieux, la conclusion serait donc que le Robert Burns original se prépare avec de l’absinthe et des bitters d’orange, a été inventé avant 1912 (interdiction de la fée verte aux Etats-Unis) et n’a rien à voir avec un poète-lauréat. Gloups. Si on veut couper la poire en deux, on peut aussi suggérer que le cocktail Old Waldorf Astoria et celui du Savoy partagent (presque) un nom et (tout à fait) leurs deux ingrédients principaux par hasard. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je trouve ça trop compliqué. Il est temps de boire.

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  • 2 oz de scotch (Single malt de préférence)
  • ¾ oz de vermouth doux
  • 3 (bons) traits de bitters d’orange
  • Absinthe

Versez quelques traits d’absinthe dans un verre de type old-fashioned que vous ferez tourner sur lui-même pour que son intérieur soit complètement tapissé de liquide vert. Débarrassez-vous ensuite de l’excès d’absinthe. Dans un verre à mélange, versez le reste des ingrédients et mélanger sur glace. Versez ensuite sur glace fraîche dans le verre préalablement absinthé. Pour garnir, une cerise au marasquin.

Cette version, adaptée de celle du Old Waldorf Astoria, nous vient du White Star de New York et est tout à fait contemporaine. C’est, à ma connaissance, une des rares manifestations actuelles de la recette (peut-être) originale, à ceci près que le cocktail est ici présenté on the rocks. Le Bobby Burns bénédictine est également une boisson délectable, mais partant du principe qu’en histoire on ne fait parler de soi qu’en prenant la route alternative (pour preuve, le « Jeanne d’Arc était un homme » d’un certain François Ruggieriil y a quelques semaines), je n’avais d’autre choix que de vous proposer (presque) la même recette qu’Albert Crockett de ce cocktail (peut-être) nommé en honneur d’un poète qui est aussi (très certainement) un héros écossais. Pfff, l’histoire, c’est tout sauf clair. Imaginez si, en plus, vous y foutez de l’alcool…

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World Gin Day 2011

Je suis certain que comme moi, vous en avez un peu marre de ces Journées Mondiales de... (insérez à peu près n'importe quel mot). Afin d'oublier tous ces Jours dont on n'a pas envie de se soucier, un gentleman anglais a inventé le World Gin Day... et c'est aujourd'hui.

Que vous soyez plutôt du genre à "sippin' on gin & juice / Laid back [with my mind on my money and my money on my mind] / Now that I got me some Seagram's gin / Everybody got they cups, but they ain't chipped in / Now this types of shit, happens all the time / You got to get yours but fool I gotta get mine" ou à vous préparer un petit Hanky Panky, cocktail vedette, dit-on, du Spirits & Cocktails parisien de cette année, vous savez ce qu'il vous reste à faire...

Où est donc la bouteille la plus proche?